Y'a du monde aux Balkans.

Y'a du monde aux Balkans.








Comment et pourquoi ?
Chez nous c'est un mode de vie : le hasard.
Nous voyageons depuis un an avec un zouzou et une flat cab, et l’envie venait de tester l’attelage en vraies conditions tout-terrain : on verra plus loin ce que signifie "vraies"...

Parti plusieurs fois, tant en moto qu’en voiture, avec un organisateur, Sud Expé, je reçois une documentation pour un circuit en Grèce, Albanie, Monténégro et Croatie : on fait plus exotique, mais guère plus près...
Il y a de très jolies photos, avec du ciel bleu, des lacs, des montagnes et une jolie piste facile…
Ça dure deux semaines, et il n’est pas précisé que les gros nuls ne sont pas acceptés…
Alors…
Début mai, c’est fait, nous sommes inscrits au « Raid des Balkans».

Le mot « raid », qui signifie « incursion rapide en territoire ennemi », ne me plait pas vraiment, parce que les habitants des Balkans, du fait que je n’en connais pas un seul, ne font pas encore parti de mes ennemis…
Mais bon, raid te fait tout de suite monter la tension pour peu que tu aies envie de ressembler à un aventurier…

Et avec quoi allons-nous partir ? Et bien avec un pick-up Isuzu D Max, porteur d’une cellule camping-car concoctée par mes soins et baptisée Flat Cab, parce qu’elle se plie et se replie pour rester flat, c'est-à-dire que l’ensemble culmine à deux mètres lorsqu’on roule.
Par un ingénieux, et modeste, système de vérins électriques, on passe de ça …


                                                                             ...à ça...



Plus d’infos, c’est là :


Une fois le courrier posté, j’ai réfléchi.
J’ai d'ailleurs un peu tendance à fonctionner dans ce sens : agir, puis réfléchir…
J’ai donc réfléchi à la chose suivante : nous allons partir avec des quatre-quatreux, débarquer en Grèce, remonter, par des pistes de montagne, la Grèce l’Albanie et le Monténégro, puis passer en Croatie et finir à Split.
Les mots importants dans la phrase précédente sont « quatre-quatreux », « montagne », et « pistes »…

Quatre-quatreux n’est pas un terme péjoratif, il désigne simplement des gens qui ont pour habitude de prendre une carte, de dire « je vais là ! », de monter dans une bagnole, et de faire coûte que coûte le trajet prévu par eux.
J’en ai fréquenté quelques-uns, j’ai eu des frais de lessive…

Montagne signifie que ça va monter, et descendre, avec des pourcentages légèrement plus prononcés qu’aux Pays Bas…

Pistes laisse entrevoir la possibilité qu’il n’y aura pas trop de goudron pour rouler dessus, et, peut-être même quelques gros rochers dans les conditions les plus défavorables…

Mais le véhicule et sa cellule ont déjà été testés dans des conditions un peu remuante.
Tout s'était bien passé :






En plus j'ai fait la super prépa spéciale raid qui va bien, je venais juste de recevoir le matos :


Mais lorsque je reçois la liste des équipages, je constate que tout le monde sera équipé d’un Toy HDJ, ce qui, pour les ignares, est grosso modo l’outil indispensable pour qui a décidé de passer partout.
Partout pouvant aller jusqu’à n’importe où… C’est le véhicule choisi par les spécialistes, c'est-à-dire des gens qui savent conduire en tout-terrain, ce qui n’est pas trop mon cas, preuve en fut faite en Tunisie, il y des photos parlantes ici…



J’ai l’impression d’avoir déjà vu ce film, l’histoire du bienheureux qui se pointe avec du matériel pas vraiment adapté, et qui se dit, après coup : peut être que j’aurais pas dû…

Bon, il faut y aller…
Nous démarrons vers les six heures du soir, direction Ancône, Italie, pour embarquer vers la Grèce ; on trouvera bien un coin pour dormir en route. Autoroute autoroute, tout va bien, vacances vacances, on roule.
Le premier arrêt nous ramène à notre vraie dimension : tout petits… la puce, derrière, c’est nous…


Ces italiens sont trop forts, ils savent super bien faire des tunnels et des ponts, alors ils en mettent de partout, mais alors vraiment partout : pour aller du côté de Firenze, on navigue plus souvent sous terre que dessus, impressionnant.
Impressionnant aussi de se dire qu’un jour, un type, style ingénieur, a pris une carte du coin, un stylo et une règle, et il a dit « ecco, on va faire passer ouna autostrada ; de là, à là ».
Et, ce faisant, il a tracé un gros trait sur la carte, refilé le plan à un autre cinglé genre ingénieur aussi, et, au bout de quelques calculs et quelques temps, tu roules sur l’autostada avec des milliers de personnes qui ne connaissent même pas le prénom de cet illustre génie…

Le génie a du mourir jeune et sans descendance, parce qu’arrivé à Firenze, si tu veux rejoindre Ancôna, et bien il faut remonter plein nord vers Bologna et faire plein de kilomètres en plus parce que l’autostrada Firenze / Ancôna, et ben elle existe pas…

Et puis il n’y a pas non plus de génie italien qui ait pensé à faire des aires d’autoroute un peu sympas, c’est étriqué, moche, triste et sale… Pour passer la nuit au calme, il a fallu prendre une sortie qui mène vers les Cinque Terra, très belles dit le guide, et se caler sur le parking d’un hôtel décrépit, avec épave de voiture, vieux fauteuils et bouteilles en plastique pour toute décoration.

Le lendemain, départ assez matinal, et heureusement.
Parce qu’avec la remontée sur Bologne et un petit embouteillage, le temps passe vite. Si tu ajoutes, en plus, une autoroute en travaux sur toute sa longueur, et le fait qu’on a distribué quatre centaines de panneaux de limitation marqués 60 , 80 , 90 , 110, à quelques braves employés en leur disant « tu les mets où tu veux, on s’en fout, mais tu les mets bien tous », tu vois rapidement que ton rendez-vous à quinze heures auquel tu pensais naïvement arriver bien en avance, tu vas te le manquer si tu n’enclenches pas le turbo.
Alors tu fais comme la grosse majorité des automobilistes italiens : tu regardes la route et pas les panneaux, et tu mets le pied dedans quand ça peut…

Arrivés au port d’Ancône, nous trouvons notre groupe, pas difficile, ils sont tous là depuis belle lurette et ont tapissé leurs 4X4 avec les autocollants que fournit l’organisateur, le genre qui te transforme un engin banal comme notre Zouzou, en Pro Ultimate Race Hight Tech Zouzou !!




Ça le fait, non ?

Approchons-nous précautionneusement des quatre-quatreux... normaux à première vue, pas d'odeur particulière, ils semblent même souriants...


Les présentations sont rapides, nous ne sommes que six équipages, et je bénéficie de leurs conseils pour coller les totocollants, ce qui ne semble pas superflu, parce que je comprends aux tremblements hystériques de certains qu'il y a des trucs moins vicieux qu'un autocollant qui se fait une petite crise d'onanisme en voulant absolument se coller sur lui-même... En voyant le résultat sur les autres véhicules, je comprends que la bataille fut rude : ça ressemble beaucoup à du Picasso. Période cubiste…...

Puis arrivent les questions à propos de notre attelage. J'appuie alors sur les petits boutons qui vont bien, et ouvre la Flat Cab d'un air blasé. Je le fais super bien, l'air blasé...
De toutes les questions, celle qui me fait le plus plaisir, c'est :
" C'est un fabricant australien qui fait ça ?"
Ben non mon gars, c'est Hand made and assembled in France.

Un qui nous regarde aussi, mais pour une autre raison, c'est l'organisateur. Tout le monde s'est pointé avec un engin taillé pour le baroud, avec tous les équipements qui font sérieux et te permettent d'envisager les pires situations, et il nous voit débarquer avec une camionnette fruits et légumes, surmontée d'une caravane... Je le sens un peu sceptique, mais il a du tact...

Ensuite nous entrons nos engins dans les entrailles d’un monstre, avec quelques milliers d’autres voitures et autant de semi-remorques, impressionnant.


Ça passe...


Puis nous rejoignons notre cabine, et là, choc : habitué que je suis au Habib Bourguiba et autres ferries qui traversent la méditerranée en direction de l’Afrique du nord, mon standard de confort de cabine se limitait à ce qu’elle ne sente pas trop le vomi…
Là, c’est carrément le studio, lit double, canapé, état impéccable, salle d’eau nickel, déco moderne etc …..
Renseignement pris, nous avons bel et bien été surclassés, et bénéficions d’une suite : on se fait vite au luxe, soyons vigilants…


Le monstre bouge, direction la Grèce, pour la première étape.

Igoumenitsa / Bivouac 217 km
Débarquement des véhicules empilées et imbriquées. Je dis imbriquées parce que le marin grec, vu la taille du bateau, utilise une technique inédite : le puzzle. A mesure que tu te présentes, il jauge ton véhicule, et suit sa logique de rangement, et tu te retrouves à faire marche arrière entre six capots avec trois centimètres de chaque côté. Curieux, mais sans doute efficace.

Premiers tours de roue en Grèce sur le port d'Igoumenitsa, quasiment désert et paumé au milieu de nulle part. Nous sommes en Europe, et les formalités sont extrêmement réduites, voire quasi inexistantes, ce qui change agréablement du continent africain, de ses casquettes plates, des ses gueules patibulaires et de ses tamponneurs asthéniques.


Bon, alors, lauriers, mer etc… que du connu quoi…. pour nous qui vivons au bord de mer... mais pas pour les autres équipages qui profitent déjà du dépaysement.



Alors, comme on longe la mer, on se fait un petit arrêt casse-croûte, avec une petite vue qui pourrait faire croire qu’on est en vacances…


Allez, première piste, tout le monde est devant, hormis l'organisateur qui reste derrière pour tester un peu son groupe... et se dit que sa première impression était la bonne : il tient là le gros boulet...

Nous rebondissons en effet, à cinq à l'heure, tandis que derrière nous, il se cache les yeux d'une main et se frappe le front de l'autre, en hurlant : " je le crois pas !!!!"
J'avais fait un gonflage "autoroute" pour venir... une fois à la bonne pression, nous voici un peu moins ridicules, ce n'est pas encore du grand pilotage, mais on peut envisager de finir le raid avant l'installation de l'humanité sur Mars....

A ma décharge, et par retour d'expérience, cette piste était une vraie vacherie, et personne n'a dû passer vraiment vite. Ouais, il nous testait...

Nous naviguons avec un road book et un GPS, ce qui permet à ma passagère de participer à la conduite. J'apprécie ce mode de guidage, il induit un petit côté aventure et permet de rouler seul et tranquille, sans bouffer de poussière et sans la désagréable sensation de retarder le groupe. Le road book ressemble à ça :


Et lorsqu'il est bien fait, comme c'est le cas ici, il est impossible de se perdre. En plus, les bifurcations vraiment importantes sont marquées d'un point GPS. Royal.
Il faut savoir que ce guidage est le fruit d'un énorme travail de reconnaissance ; avec de nombreuses pistes parcourue puis abandonnée, parce que trop difficiles, ou ne débouchant pas, ou trop ceci ou trop cela. C'est un métier, c'est du travail, et comme je respecte beaucoup ça, je ne divulgue pas les traces de ce voyage.

Ce road book indique soudain piste mauvaise : pas d'erreur, c'est bien là. Imagine un torrent, on enlève l'eau au milieu, on rajoute des ronces sur les côtés, et on prend tout ça à la montée... même une chèvre doit s'y sentir à l'étroit… Je n'aime pas trop les grincements aigus qui accompagnent notre progression, mais bon, c'est un raid ou pas ?


Ensuite la pluie s'invite, ce qui nous offrira un beau toboggan, hyper glissant avec bourbiers, grosses ornières, et arbres pour t'accueillir en cas de ratage : assez délicat pour un premier jour... grand silence côté passagère... mais bon, c'est un raid ou pas ?
Lorsque nous rejoignons le groupe, il s'enquiert de la façon dont on a négocié ce passage, et j'aiguise les appétits avec un modeste : "Quelle descente ?"
Il y a des déçus...

Les pistes pour rejoindre notre premier bivouac seront donc réglées en mode super gras.


Et avec de grosses cassures qui me confortent dans l'idée que le pan coupé arrière de la cellule était la bonne décision. Sur l'ensemble de ce raid, j'aurais sinon arraché l'arrière une bonne vingtaine de fois. Avis aux auto constructeurs...

Nous parvenons au bivouac : une clairière somptueuse au milieu d'une forêt de sapins. Et comme la pluie cesse, nous pouvons profiter pleinement de l'endroit. Feu, grillades, apéro, discute. Les quatre-quatreux sont des êtres sociables, et généreux.
Et gourmands. Ils disposent dans leurs engins d'une multitude de tiroirs et rangements très secrets, dont ils extrairont tout au long de notre périple des préparations "maison", culinaires, apéritives et digestives, dont le degré d'excellence se mesure en centimètres... de tour de taille...

A noter que ces véhicules sont tous très minutieusement aménagés, et que chacun est toujours à l'affut de la petite astuce qu'il intégrera dès son retour. L'esprit "tortue", quoi...




Bon, ben messieurs-dames bonne nuit. Les baroudeurs grimpent dans leur tentes de toit ou carrément dans la voiture, partent chercher le bon coin avec leur rouleau rose, ou se font une petite toilette en plein air.
On fait pareil, mais dedans et au chaud. Coooool.

Bivouac / Météores 197 km
Matin humide et brumeux : nous apprécions évidemment le confort de la cellule, tandis que nos compagnons de voyage, font les vrais baroudeurs : petit déj au cul du camion les pieds dans l'herbe trempée tandis que les tentes sèchent... Des purs...
En tee-shirt et au chaud, on leur fait de petits signes d'encouragement... juste pour se venger de la nouvelle appellation de notre cellule : la caisse à poissons. Dans le groupe, nous serons désormais, le poissonnier et la poissonnière.
J'aime bien ces ambiances où ça chambre gentiment, ça ressemble souvent à du Pagnol.
A celui qui s'est planté dans une ornière : oh, titi, on finit de la recouvrir, ta bouse, ou tu veux encore t'en servir ?
Les vététistes aussi connaissent bien ce genre d'ambiance. En haut d'une côte, lorsqu'arrive, épuisé, le dernier : eh ben mon Jeannot, t'as crevé combien de fois ?


Pour aujourd'hui, ce sera festival : de pistes gazonnées, de sous bois et de petits lacs. Puis quelques centaines de mètres plus loin, de gros amas rocheux, puis à nouveau verdure : la Grèce est un pays de montagnes, et les paysages, comme le climat, sont propres à chaque vallée. Soleil, tu changes de vallée, pluie. Impressionnant.








Montée, col, descente, pont, montée, col... toute une journée de beauté.





Habitués à fermer la marche, pour cause de conduite cool et d'arrêts photos incessants, nous avons soudain la surprise de nous retrouver devant tout le monde, suite à un plantage collectif devant, et, il faut le dire, une excellente navigation de ma passagère…



J'ai une théorie là-dessus. D'abord quelques précisions sur la lecture du road book.


A : c'est la case n° 38 de l'étape, logiquement elle est suivie de la 39 et précédée de la 37…. Pratique, on peut se donner rendez-vous à cette case pour, par exemple, le pique nique de midi.

B : cette case suit la précédente de 5,08 km. Les vrais baroudeurs ont le tripmaster : c'est un compteur étalonné pile poil à ton véhicule, si tu changes le diamètre des pneus il faut le réetalonner, et il a le petit bouton magique que quand tu appuies dessus il se remet à zéro. Les pas-vrais baroudeurs, comme nous, se servent du trip sur le compteur de la ouature, que quand tu appuies dessus il y a une secousse qui te fait foirer, et le temps que tu fasses défiler le second trip, la conso instantanée, la conso moyenne, la température extérieure et que tu reviennes à lui, tu as déjà parcouru 200m et ta remise à zéro est foutue... Là commence l'Aventure...

C : comme l'organisateur est prévoyant, il a évidemment envisagé la possibilité que tu sois le gros nul décrit ci-dessus, et il indique donc le kilométrage depuis le départ de l'étape. Affiché sur le second trip, il te permet savoir où tu es, et de rattraper le coup.
Mais si tu fais vraiment partie de la caste des Méta Nuls, tu as bien sûr également foiré le second trip en le remettant à zéro à la place du premier, et pis après, ça t'as vraiment énervé d'être aussi nul, alors excédé par la colère, tu as voulu appuyer très vite sur le petit bouton, mais, dans la précipitation, tu as passé la main à travers le volant au lieu de le contourner, et c'est juste le moment que choisit la piste pour te jeter un méga lacet sous les roues avant, et heureusement il te reste le pied pour envoyer tout le monde dans le pare brise tandis que le volant, rancunier, va rageusement taper sa butée et te pète le poignet. Ça c'est juste la première fois. Après, avec le plâtre, ça passe pas à travers...

D : c'est le joli dessin qui te raconte ce que tu vas voir arrivé à cette case. Ici, par exemple, une piste viendra de la gauche, perpendiculaire, et tu verras un bâtiment à droite. Ne jamais s'engager avec un organisateur qui dessine dans cette case des papillons ou des vaches...

E : encore une précision sur ce que tu vas trouver. Une route qui vient de gauche juste avant des toilettes publiques, c'est pas la bonne... Là c'est police ou douane. Et ne t'avise pas d'aller pisser chez eux...

F : voici le numéro du point GPS de cette case. Les points GPS sont réservés aux cases à ne vraiment pas louper, juste pour te confirmer que tu es bien au bon endroit. Parce que la nature est perverse, et que je suis sûr qu'avant chaque poste de frontière, tu trouves une route qui vient de gauche, juste pour ressembler à ce dessin, et te perdre...

G : c'est le point G. Nan, je plaisante. Ce que tu vois là c'est le petit trait de stylo que tu fais lorsque tu as passé cette case. Si tu l'oublies, tu vas devoir te repasser tout le parcours pour te repérer sur ton road book. Tu peux remplacer le petit trait par une croix, un cœur, un foie, un poumon.... comme tu veux...

Ma théorie, c'est que quand tu veux que ça ressemble, ça finit toujours par ressembler. Exemple : à la case qui vient tu dois trouver un chemin venant de droite, dans une courbe à gauche. Et bien je te parie que si tu es flottant depuis deux ou trois cases, tu vas fatalement trouver la courbe et le chemin, parce que tu as trop envie de ne plus être perdu. Tu peux faire ça pendant une dizaine de cases avant de te retrouver au sommet d'une falaise de cinquante mètres avec le book que te dis TDSPP, soit " tout droit sur piste principale". Et là, si tu continues, c'est que tu fais vraiment trop confiance à ta chance...

Et c'est pire lorsque tu suis un véhicule qui trace la route. Tu fais confiance, tu es moins vigilant sur les cases, tu as vite fait d'en sauter une et d'être paumé, mais tu t'en fous, tu fais confiance, tu roules... et quand tu le vois s'arrêter au sommet de la falaise, tu te réveilles et c'est trop tard...

C'est pour ça que, bien qu'à partir de ce jour nous puissions rouler sans problème au même rythme que le groupe, nous resterons toujours derrière pour profiter de la navigation, rouler à notre main, et faire les photos qu'on veut. Et pis on aime bien être seuls, quoi.

Les pistes grecques sont aussi empruntées par des tortues.
Des petites...







Et des grosses :


C'est un Pinz. Impressionnant à suivre, parce que constitué d'une poutre centrale sur laquelle s'articulent les "pattes". Impressionnant parce que les roues, au lieu de travailler verticalement, "tournent" autour de la poutre centrale. Gloups, mais extrêmement efficace. En plus, des ponts portiques. Une arme quoi... et super confortable aux dires de ses occupants.
Moi j’ajoute :"sur piste".
Parce que se farcir mille kilomètres d'autoroute pour prendre un bateau avec cet engin, à 80/90 km/h, vu les sièges en toile tendue et l'isolation phonique inexistante...

Petit constat pratique à la fin de la journée : la conduite en tout terrain d'un 4X4 est plus fatigante que celle d'une moto, parce qu'il faut prévoir deux traces dans le calcul : j'ai les yeux explosés de fatigue lorsque l'étape se termine.

Arrivés assez tôt près des Météores, nous visitons cet étonnant endroit, remarquant que certains pitons encore vierges pourraient avantageusement être ornés de quelques hôtels super luxe, parce que vu le nombre de touristes qui déboulent ici, on va avoir du mal à loger tout le monde...






Ensuite bivouac à l'hôtel, petit bain de baroudeur dans la piscine de l'hôtel, puis petit repas de baroudeurs dans la luxueuse salle à manger. C'est un raid, ou pas ?

C'est vrai que je rêve d'un parcours en totalité bivouacs. Parce que transférer les affaires pour une nuit, c'est pénible, et qu'avec le confort que nous avons dans la cellule, on pourrait se passer de ça.

Mais je sais que nos autres baroudeurs ont parfois besoin d'un peu de confort et d'eau chaude...

Le lendemain, Météores / Vikos 229 km
Départ sous la pluie. Si celle-ci s'était toujours arrangée jusqu'à présent pour nous permettre des repas et bivouacs à l'extérieur, ce ne sera pas le cas aujourd'hui.
Si le temps nous permet quand même un pique nique au bord d'un lac...


... la pluie torrentielle du soir transformera le bivouac prévu en petit hôtel impromptu, que nos compagnons intégreront à l'unanimité.
Nous, les vrais baroudeurs, nous installerons devant l'hôtel, sur la place du village, dans la cellule. Toc...

Mais pendant la journée, ce pays nous aura encore offert des pistes et paysages de toute beauté.

Les remarquables gorges de Vikos.



Et le petit bled au bout, dans lequel tout le monde fait les mêmes photos…





J'ai intégré le paramètre vitesse dans notre confort de voyage, et les conséquences en sont multiples : je me régale à conduire, nous roulons confortable, mais ... les amortisseurs avant sont ruinés en quelques heures : pas faits pour ça, trop de poids pour eux. Ils ont vaillamment supporté une grandiose descente en sous bois à une honorable vitesse, mais ont avoué leur limite dès la réintégration du goudron : pompage incessant de l'avant. Paix à leur âme, ils avaient moins de 5000 km.
Curieusement, j'apprendrai à gérer ce paramètre, et la suite du voyage ne posera pas de gros problème. Et puis les amortos arrières, sans doute épargnés par les suspensions à air, resteront relativement efficaces.

Au repas du soir, Moussaka vraie de vraie, et rien à voir avec ce qu'on nous propose dans nos contrées : c'est monstrueusement bon. Arrosé de Rètziné, c'est carrément grandiose. Et au delà du litre de Rétziné par personne, c'est gros dodo...

Vikos / Pogradec 287km
Cette étape nous verra quitter la Grèce et entrer en Albanie.
Tu m'aurais dit qu'un jour j'irai en Albanie...


La mauvaise réputation de ce pays nous avait fait craindre un passage de frontière à l'africaine. Crainte injustifiée : les casquettes plates ne sont pas de grands comiques, mais ils sont corrects et efficaces.



Au niveau conduite, c'est aujourd'hui du grandiose, pour cause de petite variante au programme. En fait l’organisateur veut tester une nouvelle piste qui doit déboucher là, tu vois : si, là. Sur la carte, elle doit déboucher là...

Je suis un spécialiste de ce genre de plan : gougeuleurf vers GPS; GPS sur le guidon du vélo, venez les gars, je vous ai préparé une balade d'enfer. Les innocentes victimes me suivent.
Et on fait bien une balade d'enfer : parce que tu vois là, je suis sûr qu'on va trouver cette piste là... l'enfer quoi...
Et on finit, à 9h du soir, par déboucher dans une cour de ferme, sous les yeux ébahis d'une brave dame qui lâche seulement : " depuis la guerre, j'ai jamais vu personne arriver d'ici..."
Ce que mes désormais ex-potes, sanguinolents et exténués, traduisent ensuite par : "on a fait une balade "vieupat! "

Là, c'est ce genre, mais je fais aujourd'hui parti des victimes...
On commence à grimper cool, dans de bons prés à vaches ; sauf que les vaches ont circulé en travers et que nous, on monte droit : succession de marches herbeuses, avec petit semis de gros cailloux, très joli.
Puis grosses grimpettes style piste de ski, avec tout pour faire les bosses.
Puis grosses grimpettes dans les rochers, avec éjection des morceaux de crampons de pneus .
Puis grosse grimpette dans les rochers, avec à pic d'un côté et falaise de l’autre. On serre un peu tout, les fesses et la cellule.


Je peux dire que là, nous sommes allés à la limite de ce que peut faire le Zouzou.
Boîte courte, et l'engin tracte si bien que jamais tu ne doutes. Ça va passer, ça passe.
La boîte auto t'enlève tout souci de fumer l'embrayage, et tu fais ta petite escalade sans autre tracas que d'apprécier l'instant. Une grosse marche ? Juste faire attention à la trajectoire pour ne pas poser un pont... ou un carter… Un bon gros dévers ? Juste garder de la vitesse en mettant un peu de gaz.

Arrivés en haut, jolis bourbiers, puis piste de débardage, mais là, quand le chef se plante, on comprend que ça va pas le faire...


Pas de bol, c’est un bon gros cul de sac.
La piste qu'on devait rejoindre n'est pas loin, moins d'un kilomètre, mais vraiment inaccessible : deux essais, deux échecs.






On s'en fout, c'était que du plaisir de grimper là-haut : on a passé des endroits que je n'aurais même pas imaginé dans mes fantasmes, et ma passagère sera désormais définitivement blasée lorsque nous cahoterons pour trouver un petit bivouac tranquille.









On a fait 16 bornes de bonheur, puis demi-tour.

Le petit problème c’est que les bourbiers, bien passés à l’aller, se sont fait défoncer par deux fois sept, quatorze voitures ; lorsque je repasse dans l’autre sens.
Et c’est plus la même. Du tout.
C’est devenu beaucoup plus profond, beaucoup plus liquide, avec beaucoup moins de passages sains possibles. Résultat : trois plantages tsoin tsoin, nécessitant l’intervention de la bienveillante corde.
Pour le premier, je m'y prends vraiment comme un manche et, puisque j'ai bien trainé à force de faire des photos ( fallait pas faire un parcours si beau), on se retrouve tout seuls dans la pampa, embourbés jusqu’au trognon, avec le jour qui descend gravement et inexorablement.
Just for fun, et pas trop longtemps, puis on voit arriver nos sauveteurs, ravis, et pas qu'un peu, qu'on ait fini par se planter avec notre caisse à poissons.



Eh, manquait pas grand chose quand même...


Pour ceux qui ne connaissent pas les joies du plantage dans la boue, je note juste la sortie du pilote avec portière et pieds qui barbotent dans le liquide, l'accrochage de la sangle là-bas dessous, ou plutôt là-bas dedans, vautré sur le capot, la tête en bas et les bras dans la bouillasse, et les yeux de la passagère qui, malgré l'épaisseur du pare-brise, te vrillent le cerveau d'ondes négatives t'annonçant que tu as intérêt à la ramener au sec dans les plus bref délais si tu veux que se prolonge encore un peu la belle histoire d'amour...

Je craignais ensuite de redescendre ce que nous avions monté, mais je n'ai même pas reconnu les endroits litigieux tellement la descente s'est bien passé. Même pas peur.




Revenus sur des pistes disons normales, (nous reparlerons plus loin de la normalité des voies de communication dans ce pays), nous découvrons notre première ville albanaise : moche.
Architecture de l'époque où la respiration elle-même était soumise à l'approbation du Parti, entretien inexistant, véhicules d'un autre temps ; une image assez juste me parait être le Maghreb sans chameaux.
Ce n'est pas jugeant, c'est une sensation.



Mercos'land...



Disons le clairement, l'Albanie est un pays pauvre, nous en aurons la confirmation chaque jour. De plus, j'apprendrai que l'organisateur nous a épargné des endroits pires que ceux que nous avons traversés. Le mot "décence" me vient, et donc son contraire, "indécence".
Le décalage entre nous et les gens que nous visitons est-il indécent ? Sans doute.
En sommes-nous responsables ? Sans doute pas.

L'étape finit à Pogradec. Pogradec est sympa, au bord du lac Ohrid, et tranche radicalement avec tout ce que nous avons vu avant. C'est une ville propre et vivante, dont l’architecture ne flatte pas vraiment l’œil, mais au moins tout est quasiment fini et peint. Une parenthèse, quoi.







Il faut dire que c'est la résidence d’été du président de la république albanaise, donc un peu l'équivalent du Saint Tropez du pays, ,et c'est effectivement peuplé de minettes en jupettes, de beaux mecs à lunettes noires et air de winners, et de bagnoles hors de prix …

Belle rencontre avec un Albanais ravi de mettre en pratique ses cours de l'Alliance Française. On apprend que le salaire moyen d’un employé est d’environ 100 roros par mois. Sachant que, par exemple, le litre de carburant est à 1.20 €, on imagine bien que c'est difficile pour certains... A titre indicatif, les trois cafés, toujours excellents dans ce pays, sont à 1,8 € ; ce qui nous incite à penser qu'on devrait nous le servir, chez nous, non avec un petit gâteau, mais avec une noisette de lubrifiant...

La misère, nous la découvrirons le lendemain, le long d’une « route en travaux » qui te file des sueurs froides à un amortisseur ; en découvrant une famille logeant dans un truc mi-cabane mi-garage, avec un gosse nippé sale depuis sa naissance, la mâchoire déformée par un abcès monstrueux, ni pleurnichard ni renfrogné, mais souriant tristement à notre vue. Ce ne sont pas les quelques paires de chaussures que nous avons laissées qui décideront un médecin à se déplacer jusque là… Et encore, le père semblait avoir une certaine position sociale puisqu’il était l’épicier du « village », et nous a offert deux canettes de jus de fruit pour nous remercier.

Ce soir c'est l’hôtel, qui ressemble vraiment à ceux de Tunisie : hyper chicos des années 80, défraichi et assez mal entretenu, peuplé d’êtres costumés en serveurs, ou de réceptionnistes qui passent leur temps à regarder d’insondables débilités sur un minuscule et obsolète poste de télé…

Après le luxe albanais, c'est reparti : Pogradec / Bivouac 208 km.

Vrai, hier, on n'a pas serré que les fesses entre la falaise et le vide...


Après tout c'est fait pour servir, et chaque cicatrice raconte une histoire...

Nous quittons Pogradec en longeant le lac, vues superbes, mais piste très cassante. Et cinq cent mètres après l'hôtel, nous sortons de la vitrine et retrouvons la vraie Albanie...








Aujourd'hui ce sera journée gags ; je ne sais pas si ça vous arrive aussi : le genre qui, dès le matin, te fait pressentir que le dodo du soir sera le bienvenu...

D'abord, dans une longue descente, nous entendons des cigales, enfin, je crois entendre une cigale : c’est en réalité un disque de frein qui crie au secours. La baignade dans la boue de veille a formé une jolie gangue autour des étriers, qui refroidissent mal, le disque a chauffé, les plaquettes aussi, la boue sèche se désagrège sous l’effet de la chaleur et envoie de petits morceaux de silex au milieu du total.

Obligés d’attendre, le retour à une température normale, on perd beaucoup de temps. Alors nous décidons, puisque nous sommes très en retard, de zapper une partie de l’étape, et de se la faire douce.
Voulant prévenir l’organisateur que nous ne retrouverons le groupe que le soir au bivouac, nous jouons le second gag : le téléphone refuse tout service, ni entrées ni sorties, et il faut se débrouiller, sachant que nous sommes en Albanie, que les postes qui fonctionnent sont rares, et à carte, et que bien sûr les nôtres sont systématiquement refusées. Mais les albanais sont des gens sympas, et un brave commerçant me proposera son portable.

Ici, petite digression sur le téléphone portable en Albanie.
Partout, je dis bien partout, au fond des vallées les plus reculées et au sommet des cols les plus paumés, partout, il y a du réseau. Quand tu vois que chez nous, c'est-à-dire en France, pays parait-il développé, tu te retrouves souvent en black out total, tu songes à faire venir de la technologie albanaise pour créer un vrai réseau fiable…

Puisque nous avons décidé de prendre notre temps, resto et lavage de la voiture, pour chasser la boue.





Dans cette région les stations de lavages pullulent.
Description d’une station de lavage : un trottoir, un nettoyeur haute pression, un seau à roulettes, un balai à longs poil trempant dans du liquide moussant ; et un type genre Super Mario dans ses jours d'excitation. Pourboire de 50% à Mario, parce le Zouzou était vraiment mais vraiment, couvert et incrusté de boue : il a passé autant de temps à nettoyer l’engin que son bout de trottoir…

Et maintenant mesdames et messieurs le gag numéro trois : j’avais, grâce à mon prêteur de téléphone, concocté un itinéraire plus rapide et plus court pour parcourir cette étape, avec un maximum de route. Mais mais mais mais, la « route » que nous prenons s’avère être exactement celle prévue par le road book, donc aussi longue, et est « en travaux », c'est-à-dire ravagée par des engins de chantiers qui te dégagent le tas de terre juste pour te laisser passer… après une plus ou moins longue attente…


Preshkopia, nous voulons rejoindre Preshkopia, et, à la recherche de l'itinéraire le plus court, nous comprendrons que tous les chemins mènent à Preshkopia : quand tu t'arrêtes près de deux gars, que tu demandes ta route, et que, avec un bel ensemble, ils t'indiquent deux directions totalement opposées, tu tires au sort ?
De toute façon, c'est trois heures pour les 80 bornes. Pas à pied : en voiture...


En te retrouvant avec quatre heures de retard, à te décrocher les cervicales sur un truc qu’un optimiste qualifierait de piste… tu comprends qu'il va falloir ruser. Et la ruse, je suis un spécialiste...
A la lecture du GPS, nous remarquons qu’un point désigné par le road book comme distant de 60 km se trouve en fait à 9 km à vol d’oiseau, ce qui risque de nous faire une sérieuse économie, n'est-il pas ?
La ruse, c'est qu'on va viser ce point GPS. Et tout se passe bien : de petits chemins pourris en pistes ravagées, nous approchons de notre but.
Mais on avait dit journée des gags : ce point GPS, est ..devine ? Faux, oui faux ! De tout le road book ce sera le seul faux, et c’est celui que nous visons, si ça c’est pas du gag, je n’y connais rien…
Ceux qui ont suivit le savent, notre téléphone est HS, ce qui fait que l'organisateur, qui s'est rendu compte de la gaffe, ne peut pas nous prévenir. Là, c'est la grande solitude... parce qu'on est sorti du road book, et totalement paumés dans la pampa... déserte...
Nous filons, au pif, dans la direction supposée de l'arrivée, et finissons par trouver une case qui ressemble au road book : on enquille, et oui, nous sommes à nouveau sur le bon chemin, mais... toujours à plus de 80 bornes du but.

Bref, on a fait beaucoup de bornes en trop, il fait nuit, à un embranchement un zig s’est garé pile sur l’entrée de la bonne piste donc on se trompe encore un peu, il fait encore plus nuit, et à la fin ça roule sévère et silencieux jusqu'à ce qu'on se pointe, à 9h du soir, bien rincés, mais accueillis comme des rois par le groupe qui a préparé le repas et nous a attendu pour manger. Chaud au cœur.


Là, tu as bien des choses à raconter, et avec la fatigue et les différents digestifs qui apparaissent, tu confonds un peu tout, tu te fais bien chambrer, et quand tu veux trouver ton lit, tous les Zouzous se ressemblent...

Bivouac /Fierze 258 km
L'étape commence par un petit mal de crâne, et du goudron.


Superbe route, mais soûlante à force de virages. Partout des stèles indiquant qu'ici fut victime d'un accident le type dont on voit la photo. Ou deux types. Ou plusieurs personnes, genre le car qui s'est un peu manqué sur le freinage de l'épingle et s'est arrêté sept cent mètres plus bas.
Les routes albanaises sont constellées de ce genre de monuments, c'est un peu démoralisant au début, puis banal, puis quasiment décoratif...

Des cols, des montées, des descentes, des vallées, des ponts, toujours beaux et des pistes toujours intéressantes, grand plaisir.








Nous avons rendez-vous le soir à un l’embarcadère. Ah oui, parce que nous allons prendre un bateau, nous et nos engins, pour rejoindre un point, plus bas sur un lac.
Nous bivouaquerons pile devant le ferry, parce-que l’embarquement est à sept heures du matin, que les places sont limitées, et que le bateau ne fait qu’une rotation par jour : ce serait ballot de rester planté ici pendant une journée…


L’endroit est esthétiquement très moche, mais une ambiance « Amérique du sud » s’en dégage, ferrys rouillés, morceaux de ferraille jonchant le sol, et marins suants en maillots de corps à bretelles style
 « Marcel ».

Et il y a, bien sûr un bar.


Si tu écoutes les chansons de Lavilliers, tu le connais ce bar. C'est aux confins de Porto Latino et du Rio Cradoc, une baraque en bois avec terrasse donnant sur les vieux pneus.
Là, au soir tombant, à la chiche lumière d’une ampoule couverte de chiures de mouches, des types à la gueule de Cantona, mais en beaucoup plus viril, se tapent de sanglantes parties de dominos.
Leurs petits doigts d'assassins enfoncent avec force claquement les dominos dans la table en gros bois : tac, tac, tac, tac, tac, dans un mutisme pesant. Après le dernier tac, un immense beuglement jaillit de leurs poitrines suantes, et tu ne sais pas s'ils s'engueulent ou s'ils commentent, mais tu te planques derrière ta canette de bière parce que tu sens bien que les couteaux vont sortir pour l'étripage final.

Et puis non, nouvelle donne, tac, tac, tac, tac, tac, tac...
Tu respires à peine, fasciné par la brutalité de l'instant, je te jure qu'une table normale ne résisterait jamais à ça, et tu attends, transpirant toi aussi, l'explosion finale. Entre temps tu as repris une bière, pour te planquer derrière deux canettes.
Et la même scène se reproduit, déchainement de violence verbale et de décibels rugueux.
Fascinant. Ils sont insatiables.
Plus tard, un nouveau venu débarque : voiture de luxe, chauffeur, tout le monde se lève pour le saluer, c'est le même genre que les autres tueurs, mais format XXL, on lui apporte une chaise. D'un hochement de tête il salue à son tour et fait signe de se rasseoir. Il pose la veste de costar sur le dossier de la chaise et exhibe le marcel poisseux planqué dessous, distendu par des gros paquets de viande velue qui doivent être des muscles...
Et c'est repartit, ils massacrent la table avec une vigueur renouvelée, sans doute pour prouver leur virilité au chef. Et beuglent de plus belle.
Vers minuit, planqué derrière ta montagne de cannettes, tu décides d'aller te coucher.
A trois heures du matin c'est toujours tac, tac, tac, tac, tac... et hurlements. J'irais bien les engueuler pour pouvoir dormir un peu, mais quelque chose me retient...
Ah, oui : la trouille...

Fierze / Theth 128 km
Lorsque les rois du domino décident que leurs cordes vocales sont trop fatiguées, il ne nous reste plus beaucoup à dormir. Debout six heures, et nous sommes en pole position pour l’embarquement.




Mis à part le fait que nos amis les marins sont un peu en froid et s’engueulent copieusement tandis que nous suivons alternativement les ordres de celui qui veut qu’on se gare à droite, et ceux de celui qui tient absolument à emmerder son collègue et qui veut nous envoyer à gauche, l’embarquement est assez rapide à défaut d’être simple… On évite simplement de les contrarier...


Une fois en route, c’est du vrai bonheur. Nous descendons le lac Koman en dégustant des vues somptueuses pendant trois heures d’émerveillement.










Et l’ambiance sud américaine continue, nous croisons de vieux rafiots bleus, cabossés, rouillés et surchargés de matériel et de passagers, un autocar intégralement greffé sur un bateau, et dont la greffe a si bien pris que le chauffeur pilote l’engin depuis la cabine de l’autocar et avec le volant de celui-ci, tandis que les passagers sont évidemment installés derrière lui dans l’autocar…


Et des touristes idiots, faisant d'idiotes photos...


Nous serpentons dans les gorges, bercés par deux diesels bien cadencés. Magique. Confortablement installé tout à l’avant dans le fauteuil que j’ai sorti du Zouzou, et muni de jumelles, je savoure la fabuleuse croisière.
Nous arrivons finalement au barrage...


...et débarquons sur un minuscule bout de terre, dont la seule issue est un long tunnel taillé dans le contrefort du barrage, et qui doit aussi servir de trop plein en cas de montée incontrôlée des eaux… Croisière et tunnel, étonnant cocktail.



L’après midi, le road book annonçait « mauvaise piste », et il ne nous a pas pris en traitre… Après avoir remonté une belle vallée de paradis, offrant à ses habitants de l’eau à profusion, des terrains plats et de la terre de qualité...


...nous parcourons une piste qui n’est pourtant pas répertoriée comme mauvaise par le road book, mais qui nous fait craindre le pire pour la suite tant elle est dégradée.
Arrive ensuite la fameuse piste, et nous dirons qu’elle est bien copieuse pour faire dans la litote : une heure pour faire 10 km...
Le plus étonnant, c’est que nous y croisons un mini car de marque allemande, avec une étoile pour emblème, qui n’est autre que le taxi du coin, et qui semble se taper régulièrement cette succession de marches, de cailloux roulants et d’épingles gravissimes pour accéder à un col vertigineux et redescendre par une piste dont le nombre de stèles commémoratives indique que c'est pentu grave et qu'il y a du gaz...


Et c'est toujours d'une beauté inouïe.






Ici, comme promis, petit aparté sur la circulation en Albanie. Précisons tout d'abord que l’automobiliste albanais ne connait quasiment qu’une seule et unique marque, Mercedes. Et que sa notion des voix de communication n’est pas tout a fait équivalente à la notre…
J’avais déjà été étonné de me faire doubler, dans une descente que j’abordais avec tout le respect dû à ma monture et à ma passagère, par un mercos coupé équipé de pneus taille basse et qui me déposa proprement puisqu’il avionnait aux alentours de quatre-vingts, ne touchant terre qu’occasionnellement, ce qui, à la réflexion, me semble une astucieuse méthode pour ne pas user les gommes...

Je m'étais dit : voici un candidat sérieux au monument commémoratif de bord de route...
J’avais déjà remarqué que ces gens parcourent des pistes hallucinantes de dégradation avec d’antiques engins genre 220 D affichant sans doute quelques centaines de milliers de kilomètres, puisqu’ils ont déjà fait une honnête carrière de berline routière dans leur pays d’origine, avant de venir faire une nouvelle démonstration de leur solidité en terre albanaise.
J’en avais vu dans des endroits improbables, et supposais qu’ils étaient en panne avant d’en croiser ou d’en doubler qui bougeaient encore. Mais, le fourgon taxi, ici, j’ai eu de la peine à intégrer qu’il venait de passer à des endroits qui ressemblent plus à un terrain de trial qu’à des voies de communication homologuées…

Nous avons aussi croisé un Mitsubishi Pajero immatriculé en GB, avec conduite à droite, en se disant, étonnés, tiens, un touriste rosbif. Peu de temps après, idem : tiens, encore un touriste. Au bout d'une dizaine de "touristes" j'ai élaboré une explication qui peut s'avérer fausse mais me paraît plausible : si tu es anglais, et que tu veux vendre ton véhicule d’occasion, le marché est quasiment limité aux îles britanniques, puisqu'on t'a planté le volant du mauvais côté... Mais un petit malin a dû trouver un débouché en Albanie où ce détail ne semble pas rédhibitoire.
A noter qu'au Monténégro, nous verrons pas mal de gros 4X4 immatriculés... dans l'état de New York... Même cause, même effet ?

Revenons à la circulation.
Au hasard de nos pérégrinations, nous découvrirons un semblant d'effort touristique, quelques campings ou chalets de montagne aménagés. Mais au bout de pistes si incroyablement impraticables !!
Le mystère reste entier sur ce point : comment aller là-bas ?
Petit exemple. Nous remontons une vallée par une piste très mauvaise, avec des marches de trente bon centimètres, des épingles, des parties effondrée, des gués, et arrivons près de quelques maisons. Là, garé, un Renault Scénic. Si, si. On se dit que l'engin n'ayant pas pu venir par la même piste que nous, il est arrivé par l'autre côté, qui, par conséquent, doit être beaucoup plus roulant.
On continue donc et la piste se met à monter gravement, avec des bourbiers de folie, des marches en vrai rocher très dur et autres zones bienvenues dans un trial. A moins d'avoir un maniaque se faisant poser le Scénic par hélicoptère, je ne vois pas, mais vraiment pas, comment cet engin pouvait être à cet endroit...

D’ailleurs, le soir au bivouac, l’incroyable vérité deviendra évidence : ces gens là se farcissent régulièrement et avec des engins vraiment pas faits pour ça, des pistes qui foutraient le trac à bon nombre de possesseurs de 4X4 de notre beau pays…

Bivouac au bord d'un torrent, je sors les cales qui ne me quittent jamais.


Des kilomètres de désert avant et après ce bivouac, et au petit matin, un type, en tenue de ville, qui passe, tranquille... Mystérieux pays... qui rappelle très souvent le Maghreb.


Et remarquable pays, dans lequel plusieurs communautés religieuses cohabitent, si harmonieusement que l'appartenance à l'une ou l'autre ne semble pas faire obstacle à un mariage.
Remarquables paysans, vivant misérablement dans des coins incroyablement reculés, et avec qui tu peux communiquer en anglais, si, en anglais, qu'ils ont appris.... devant leur télé...
Ou en italien, avec les vieux, puisque l'Italie eut d'étroits liens, assez colonialistes quand même, avec ce pays.
Et tu peux aussi parler allemand, dans les quelques villes un peu modernes, où se sont installés de germaniques retraités.
Rien que pour tout ça, je reviendrai.
Pour vous dire l’extrême tolérance dans ce pays, même les groins et les museaux broutent la même herbe sans conflit…


Theth / Plav 163 km
Voilà, nous allons quitter cette Albanie aux paysages variés, aux belles vallées, aux cols vertigineux, aux torrents magiques et aux étendues vierges, qui nous a offert tant de grands moments de liberté.







Pour découvrir le Monténégro. Encore un passage de frontière agréable, avec des agents faisant correctement leur boulot.


Au premier abord, le Monténégro ressemble un peu à la Suisse, dans sa version montagne. Alpages, chalets, propreté. Bon, les troupeaux sont un peu au milieu des routes et la fenaison se fait plutôt à la faux qu'avec des engins mécaniques, mais on sent que le niveau de vie est ici bien plus élevé que dans l'Albanie voisine. Pour l'accent, j'ai pas vérifié...


Ce soir, c'est hôtel, au bord du lac de Plav.




Curieux hôtel : magnifique bâtiment, magnifique emplacement, décoration débridée style château des Carpates, mais entretien négligé et personnel débordé.

Nous constatons à nouveau que la coutume est, ici aussi, de porter sur la table l'ensemble du repas, et débrouille-toi avec ça.

Donc, tu t'apprêtes à déguster ta soupe et, à la première cuillère, on t'apporte déjà la salade.
Pas grave, on va gérer. Tu reprends ta dégustation, et voilà qu'on te livre le poisson, chaud. Mais qui ne va pas le rester, le temps que tu finisses la soupe et mange la salade.
Alors tu fais comprendre au gars que son poisson, il repart le mettre au chaud, et il le fait, les yeux ronds, les sourcils froncés, et vraiment à contrecœur.
Et deux minutes plus tard, lorsque tu attaques la salade, il te fourgue le poisson et le dessert, en un seul lot.
Et contemple, ravi, la belle table bien remplie de tous les plats : comme il aime !

Faut pas froisser l'autochtone, alors tu interromps ta dégustation de salade pour te farcir le poisson pendant qu'il est encore chaud. Et chaque convive gérant le problème de façon différente, ça finit en anarchie complète, on mastique son poisson, sa soupe, sa salade et son dessert en même temps...
L'impression générale, c'est quand même que les gars du service ont un train à ne pas louper dans le quart d'heure qui vient, et que si tu pouvais débarrasser tout ça le plus vite possible, tu ferais des heureux...

Pas grave, parce que le lendemain matin c’est somptueux : lac, montagne, brume, soleil, tout ce qu’il faut pour faire péter la pellicule.









Plav / Durmitor 154 km
Plav est une ville moyenne, mais non à l'abri de certains délires architecturaux, assez fréquents dans ce pays.
Le type qui a dessiné ça est architecte. Heureusement. Imagine qu'il soit chirurgien plasticien...


Le Monténégro cache bien son jeu. Il présente très généralement un aspect familier, pour nous, bon petits franchouillards moyens, et te balance tout à coup une petite folie, genre ce délire là, ou un minaret de montagne.
Un minaret de montagne ? C'est quoi ? Ben imagine, tu es dans les alpages, avec tout le folklore, les moutons, le berger, les andains de foin, et au détour d'un sentier tu découvres... non pas une chapelle, mais un minaret. De montagne, quoi. Si, en bois, tout bien comme un minaret mais avec le bois du pays.


Une des plus belles étapes de ce raid nous attend.


Personne ne vient marcher par ici, c'est trop grand et trop désert. Même les troupeaux sont rares. Chaque virage est un nouvel enchantement, pour les yeux et les narines, parce qu'en plus, c'est en odorama !




Imagine le Queyras, vous connaissez le Queyras ? Non ! Alors stage obligatoire pour ceux qui aiment la montagne au soleil. Et les vététistes y seront comme une mouche au salon de la bouse...

Imagine donc le Queyras, en dix fois plus grand, et toi au milieu, sur des pistes de haute montagne.
Et personne pour venir te pomper l'air avec son petit laïus écologique. Parce que, on le sait, dès qu'on est dans un 4X4, on est un gros salopard de pollueur... et il y a toujours un blaireau pour te planter sa petite leçon de morale ; tu sais bien, celui qui est descendu de Pétaouchnoc avec sa grosse bagnole plate, qui prend l'avion deux fois par an pour aller taquiner le mélanome dans les îles, et va glisser sur des planches pendant l'hiver, avec un hélicoptère...

Tiens, je me suis lâché un peu, ça soulage... De toute façon, la société de consommation est incompatible avec l'écologie, lire Dominique Bourg...

Voilà : un petit footing pour faire baisser la pression, et on peut à nouveau causer tranquille.




Si on regarde bien celle-là, derrière à droite, ils sont en train de nous construire des pistes pour faire glisser le blaireau...




Ici, le printemps vient juste d'arriver, ça explose de fleurs et toute la palette des verts est présente. Toujours à flanc de montagne, tu roules sur le tout petit ralenti et tu dégustes la vue, l'odeur, et la conduite sur une piste toujours changeante.

Après une descente en sous-bois, avec des lacets qui se négocient tous en deux ou trois fois, on rejoint une aire de pique-nique aménagée, au bord d'un lac. C'est touristique, mais royal.





Nouvel enchantement l'après midi. Nous naviguons en limite du parc de Dormitor.








Et le soir, pour couronner le tout, un bivouac fabuleux, à 1500m, dans les alpages.


Lorsqu'on attaque l'apéro, arrive un gars à cheval. Grand, sur un cheval petit, et avec une moustache qui lui mange totalement la bouche. Comme nous n'avons pas encore eu le temps de bien apprendre le monténégrin, on tente l'anglais. No. L’italien. Encore no. L'allemand ? Nein. Bon alors vas-y gros malin, cause avec tes mains ! Et bien on a un surdoué dans la bande : il comprend le langage des mains...
Entre parenthèse, heureusement que c'était pas le langage des pieds ; parce que vu l'odeur que dégageait le gars, on n'avait pas trop envie qu'il se défasse de ses bottes...
Bon, kékiveut ? Il dit qu'on est chez son frère. Ah... Et que pour rester ici, il faut l'autorisation de son frère. No problemo.
Bon, là notre surdoué mime : oukilé tonfran jin ?
Aaaaahhhh, il faut lui téléphoner... et le type sort un portable et cause dedans. En monténégrin... et nous tend le portable.
Alors, on va se payer une visio conférence en langage des signes... je sens que l'apéro s'éloigne...

Finalement le frangin cause l'anglais, et notre chef comprend qu'il veut juste quelques sous... Allez, tope là mon gars, un euro par personne, c'est vendu. Et on raccroche.
Notre traducteur, tend la monnaie au visiteur, en lui expliquant le deal. L'autre part alors dans une colère monstre, nous dit que son frère est un ...et un... et puis aussi un.... qu'on ne va pas traduire ; et refuse catégoriquement de prendre le pognon.
Alors quelqu'un fait un truc génial : il décapsule une bibine, la tend au gars, et lui tape dans le dos.
On découvre alors que sous la moustache il y avait une bouche, dans laquelle il plante le goulot après avoir éclaté de rire.
On finira par savoir qu'il habite plus loin, qu'il a toute une famille, et le lendemain, on déposera un colis de vêtements pour gosse devant chez lui.

Ah, l'apéro, enfin.
Mais un coin pareil, ça se mérite quand même : le soleil se couche et la température s'effondre ; pas grave, on va forcer sur l'antigel...
Et le petit matin nous gratifiera d'un joli 5°, que nous combattrons d'un léger coup de chauffage, hé hé, le confort d'une tortue...
Ah oui, on voit des baroudeurs aux rouleaux roses se tremper les pieds dans la rosée ; tiens ma poule, mets-nous le thermostat sur 3...

Durmitor / Kotor 303 km
Aujourd'hui nous rejoindrons le bord de mer, donc direction Kotor. Nous allons d'abord traverser le parc du Dormitor sur une piste, notre dernière piste. Snif…
Et alors là, nous aurons droit à un superbe résumé de ce que nous avons fait jusqu’à présent : haute montagne, alpages, rouler sur le gazon, piste défoncée par les ornières, pierrier, gros blocs, puis on retrouve l’étage de la forêt, petits chemins dans les charmilles qui entrent par la fenêtre, puis bonne terre et gros bourbiers bien gras avant une superbe piste très roulante. Un bouquet final quoi.






Petit pique-nique dans le paradis, et mon résumé c'est que je plains vraiment les aveugles ; quel malheur de ne pourvoir contempler les merveilles que nous avons traversées.







Maintenant il faut descendre au niveau de la mer par une route aux 25 lacets, numérotés, comme une certaine des Alpes ; qui a copié ?
Nous amorçons la descente et soudain, vue sur les incroyables bouches de Kotor : je pense qu'on peut appeler ça un fjord.

A la lumière du couchant, c'est somptueux, mais impossible à photographier avec le basique appareil que nous avons. Alors il faut ruser, et finalement, à travers le verre de lunettes de soleil, ça marche pas mal..


Lorsqu'on arrive au niveau zéro, on se retrouve au bord d'un lac de l'Italie du nord. L'horizon barré par la rive opposée, la lumière, la végétation, l'ambiance : si on voyait Georges Clooney nous apporter un expresso, on ne serait pas autrement surpris...
Tout concourt à cette impression, et même l'eau est moins salée que la mer.







Nous passerons la nuit dans une pension, et nous verrons confortés dans l'impression que nous avions déjà eue : les Monténégrins sont jaloux de leur identité et de leur langue. Un fort sentiment de fierté nationale existe dans ce pays, jamais pesant mais toujours présent. Ça ne se traduit pas à coup de portraits géants ou de drapeaux intempestifs, mais chaque discussion est empreinte de cette nationaliste fierté. On peut parler anglais, mais aussi italien, la botte ayant étendu son influence aux Balkans pendant la seconde moitié du XIX ème .

Voilà, nous avons repris pied dans la civilisation, la fin du voyage pointe son nez, un léger blues me berce. Toujours pareilles ces fins d'aventure : nostalgie de ce qu'on vient de vivre, difficile de fermer la parenthèse.

Il est temps de parler un peu de nos compagnons de voyage, les quatre-quatreux. Et bien, comme dans tout groupe fonctionnant en circuit quasi clos, les personnalités se dessinent lentement. Et sont souvent attachantes.

Je me souviendrai de Maurice, qui, après avoir taillé sa route et son entreprise dans le labeur massif, profite de ses vieux jours pour encore et toujours assouvir sa passion de la mécanique. Ancien routier, je l'ai vu dès le premier jour : un type qui, chaque matin, nettoie les vitres et les phares, avec des gestes de caresse, tu comprends tout de suite qu'il perçoit une âme dans le moindre assemblage de boulons. Maurice c'est du taciturne, la parole et le sourire rare, mais qui, une fois en confiance, t'adopte, et tu apprends beaucoup. Lumineux.
Le matin il met en route, il part, et se régale toute la journée. Maurice, c'est le sanglier, le patriarche, et il voyage avec son fils.

Il y a les deux potes. Dans le civil ils bossent beaucoup, mais se réservent un midi par semaine pour manger ensemble. Et respirer.
Et puis ils partent en raid, et là, c'est lâcher le frein et déconner no limit, avec un accent du sud-ouest qui te fait passer Cantonna pour un bourge parisien...
Mais bourges, ils ne le sont pas : la preuve, le soir, c'est la traite...


Il y a Jo, que le jour où il vend son 4X4, il faut absolument l'acheter parce que c'est le nec plus ultra de la préparation raid. Jo est resté maître ouvrier : il ne bosse pas, il travaille. Mets des fleurs et des étoiles autour de ces mots : il travaille.
C'est le genre à te fabriquer un petit ressort pour tenir la petite vis, parce que celui d'origine lui paraît un peu mou. Le genre à exploiter 1.5 cm3 entre deux placards ou à absolument vouloir que tu regardes là, "tu vois, comme ça le jour où je veux tout sortir, je prends le transpalettes et je travaille à l'aise." Jo voyage avec son épouse, qui le bade : traduction : son Jo, c'est le meilleur.

Et toute la palette des quatre-quatreux.
Celui qui avoue n'y connaitre pas grand chose et qui, quand le tableau de bord se transforme en arbre de noël, stoppe, écoute les différents commentaires, et décide d'être rassuré parce que orange c'est pas rouge, donc c'est pas grave.

Et l'imperturbable amoureux de tout ce qui roule, qui fait du raid à longueur de temps, et passe partout, la clope au bec et en douceur. Et comme il est belge, il cultive cet humour particulier et décalé qui me fait hurler de rire, glissant le mot qu'il faut quand il faut. Accompagné de sa femme, sursitaire depuis si longtemps de la clope, qu'elle t'en parle comme d'un copine un peu vache, avec une voix si éraillée que tu comprends qu'elle ne s'en passera jamais, et un regard si déterminé qu'elle voyagera encore cent ans.

Et puis il y a le chef, l'organisateur, avec qui j'ai déjà voyagé sur deux et quatre roue, dans le désert ou la montagne, et qui gère. Tout. Dans sa bagnole il a de quoi dépanner. Inutile de demander quoi : il peut. Point.
Il est discret et présent. Il gère.


Et, surtout, il est généreux. Il aime partager sa passion, alors il donne. Il fait des jour de reconnaissance pour sortir la piste qui va t'enchanter, le bivouac qui va te ravir, le petit restau extraordinaire.
Et sa récompense, c'est la fente en travers de ta tronche, le soir.

Par exemple demain, il nous offrira le parc de Krka, et le repas de midi. Il nous les offre, ça veut dire qu'il paie de sa poche, et qu'il était pas obligé...

Pour aujourd'hui c'est Kotor / Dubrovnik 109 km
Peu de kilomètres pour avoir le temps de visiter Dubrovnik.

Le matin, visite de Kotor, ville moyenâgeuse, boutiques de fringues et de souvenirs, mais quelques ruelles encore préservées et authentiques. Il y a là une belle ambiance, mais on sent que derrière, les financiers poussent...

Nous partons ensuite pour le tour complet de la baie de Kotor, paysage totalement méditerranéen, puis passage d'une frontière : nous quittons le Monténégro et entrons en Croatie. Le charme du Monténégro n'est plus : c'est impalpable, mais quelque chose est rompu.

Bref, direction Dubrovnik.
Nous intégrons l'hôtel et prenons le bus pour aller visiter la ville. Après nos journées de montagne et de fraicheur, la chaleur, la foule et la casquette pigeons qu'il faut se visser sur le crâne pour bien se faire plumer, nous fatiguent déjà.
Dubrovnik est une belle ville, les architectes ont bien travaillé, c'est majestueusement fait pour une destination bien précise : être à l'abri des envahisseurs de toutes sortes qui, au fil des siècles, ont voulu s'emparer de cette perle.
Pour l’heure, les envahisseurs viennent de débarquer de ce monstre.


Baptisé Queen Marie II, il en transporte des milliers, qui franchissent sans problème les portes de toutes les citées tant leurs armes sont fatales : pognon, fric, oseille, short et appareils photos ont raison des meilleures défenses…

Alors les restos chicos et les boutiques de merdouilles ont tout envahi, et il faut arriver à se perdre dans quelques ruelles très excentrées pour sentir le poids de l'Histoire qui habite cette cité.







Histoire souvent tragique, comme ce 6 décembre 91, lorsque la ville est bombardée.
Histoire de la ville, du pays, mais aussi des hommes, qui se sont farci la pire des guerre, celle que l'on qualifie prosaïquement de civile. La guerre des frères qui s'entretuent, la guerre des règlement de compte, la guerre des compromissions : la guerre la plus moche.

Perdues dans les ruelles, frôlant les remparts, quelques ombres humaines et d'autres de granit. Au delà de la souffrance des pierres, du patrimoine, on perçoit la souffrance de la chair, de la viande, de ceux qui ont tout perdu, leurs proches, leur passé, leur avenir et leurs illusions.

Dubrovnik a l'austérité de ceux qui ont souffert, et la légèreté de ceux qui savent survivre.


Ensuite, c'est la der.

Dubrovnik / Split 408 km
Étape de liaison, on quitte la Croatie pour passer en Bosnie, puis on quitte la Bosnie pour retourner en Croatie : eh oui, la Croatie est en deux parties… un petit bout autour de Dubrovnik, et le reste un peu plus haut, un peu plus loin, comme si le petit bout était en sursit, en attente.
Un petit découpage de diplomates : une petite bombe à retardement...

La côte croate est magnifique. Par endroits. Très banale ailleurs. Et toujours ces îles qui barrent l'horizon, rendant la mer improbable, presque absente.

Longue et fastidieuse étape pour rejoindre un restos de bord de route qui te fait ce que tu veux à la broche. Nous dégustons du cochon grillé.
Mais le resto fait aussi élevage et abattoir, et mes papilles de petit sensible sont un peu anesthésiées par les hurlements de la chèvre à qui l'on fait traverser la route pour aller se faire transformer en rôti...

Ensuite nous entrons dans le Parc National de Krka, qu'on prononce comme on veut et qu'on visite les yeux écarquillés. Le terme merveille de la nature n'est pas galvaudé pour le désigner. Là je mets quelques vue, mais elle ne sont qu'un pâle reflet de la beauté de cet endroit.










Nous sommes attendus en fin d'après midi à Split, pour embarquer. Formalités réduites, attente réduite, seul petit bémol, nous ne bénéficions pas d'une suite grandiose comme à l'aller... nan, je blague.


J'enfourne le Zouzou dans le ventre d'un monstre, et le Maurice me fait remarquer que les marins mettent des cales partout et sanglent les camions : Tilt ! Ils ont une petite idée de la suite...
Alors on se prend les petits cachets qui vont bien, et on s'allonge. Bonne précaution, parce que la mer nous chahutera un peu sur le petit matin.

Le retour : attention, certaines images peuvent heurter la sensibilité.

Bon, le récit pourrait s’arrêter là, mais quand on vit l’aventure, on la vit jusqu’au bout. C'est-à-dire qu’il aurait manqué un peu de piment sans un rebondissement de dernière minute. En l’occurrence, la panne.
Les autoroutes italiennes et la chaleur auront eu raison de la bonne santé du Zouzou, puisqu’il a décidé de nous laisser en rade.
Evidemment à la sortie d’un tunnel, dans une courbe, et sans bande d’arrêt d’urgence.
Planté au milieu de la voie avec des centaines de furieux qui déboulent derrière toi, je peux dire qu’il ne faut pas mettre trop longtemps à se souvenir ou se trouve le triangle de sécurité.
Là, par exemple, il était sous le siège et pour le sortir il fallait ouvrir la portière. Mauvais plan, parce que pas question de l’ouvrir la portière, sous peine de voir un camion l'emporter, et ton bras avec si tu as eu la mauvaise idée de le laisser accroché…
Donc, après m’être saccagé les doigts à faire passer le triangle par l’avant du siège, il s’agit de le monter. Et là, quand tu te retrouves avec trois morceaux de plastique et une douzaine de tiges en ferraille qui doivent tenir debout et avoir une forme plutôt triangulaire, que les camions te frôlent et que derrière ça freine grave et en catastrophe, tu regrettes vraiment de ne pas l’avoir monté au moins une fois avant, ce salaud de triangle…

Notre coup de chance c’est que dans les trois minutes un véhicule de la société d’autoroute est venu nous sécuriser, à grand coup de drapeau jaune, comme dans un Grand Prix.
La suite c’est coup de fil à la société d’assistance et arrivée du dépanneur.
A qui on a dit qu’il devait venir récupérer un piccolo pick up : il est donc venu avec le piccolo camion…
Une fois le Zouzou sur le piccolo camion, le type s’est gratté la tête en tordant la bouche.




Ah, j'avais prévenu, ces images sont vraiment horribles...

On n’a rien dit, on est monté dans la cabine, et on a fait un très très très long voyage. Parce que le gars roulait à trente à l’heure, en essayant de ne pas faire basculer le tout dans les virages et d’arriver vivant en bas des descentes… qu’il finissait au frein à main, les mâchoires et les fesses serrées en exsudant une forte odeur de sueur aigre. Grand silence dans la cabine…
Ah, l'aventure...

Le recours à la médecine traditionnelle fut nécessaire.
Amputation :


Autopsie :


Célèbre proverbe mécanique : "Carter touché, crépine bouchée, moteur ruiné."

Dissection :





Autre proverbe : piston fondu... moteur foutu...

Ahhhhh... douloureux n'est-il pas ? Et pas seulement pour les yeux...

Voilà, fin du bal.

Aventure, images, et douleur ; voici le lot des baroudeurs...

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Et vous pouvez retrouver d'autres aventures sur les liens suivants :

Championnat du monde de triathlon en Floride.
AU PAYS DES GATORS :
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Championnat du monde de plantage dans le sable.
LE BOULET DES DUNES :

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Championnat du monde de la béatitude.
LA RECETTE DU POIREAU AU SABLE :

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Championnat du monde d'amateurisme en Libye.
ON A MARCHE SUR LA DUNE :

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Championnat du monde de romantisme al dente.
DU PIED GAUCHE DANS LA PIZZA :

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Championnat du monde de brassage de tortue

Championnat de France de Cross Triathlon
NONO SE FINIT





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